L’IMPORTANCE DE LA QUALIFICATION PÉNALE POUR LA PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE.

Par Fabrice R. Luciani. du Village de la justice

La prescription peut se définir comme un délai d’extinction d’une efficience juridique à compter d’une date dont les interprétations et les règles d’applications sont susceptibles de différer selon les matières en fonction du droit positif.

Par opposition à la prescription acquisitive en droit notarial relative aux droits réels, la prescription est dite « extinctive » lorsqu’elle éteint un droit.

Les prescriptions en droit pénal.

Au-delà des débats sur la durée des prescriptions de l’action publique entre, d’une part, la préservation de l’intérêt des victimes, et d’autre part, l’encadrement des modalités d’action de l’autorité publique en vertu de quelques préservations fondamentales telles que le droit à un procès équitable « dans un délai raisonnable«  [1], l’évaluation de la prescription d’une infraction a le mérite de fixer certains critères permettant de clarifier l’iter criminis.

En effet, l’analyse d’un cheminement du processus infractionnel par commission ou par omission (pensée criminelle, résolution criminelle, acte préparatoire, début d’exécution et consommation de l’infraction) permet de mieux appréhender la « manifestation de la vérité«  [2].

En matière pénale, la prescription dite de l’ »action publique » instrumentée par le Ministère Public permet de déterminer les délais effectifs des mises en œuvres des poursuites pour les contraventions, les délits et les crimes, alors que la prescription dite « de la peine » détermine un temps butoir à compter duquel une condamnation est matériellement « absoute« .

La prescription des peines.

« L’institution de la prescription des peines est ordinairement justifiée par l’idée que, passé un certain temps, il serait socialement plus nuisible qu’utile de faire resurgir le souvenir d’une infraction déjà oubliée et, dans certains cas, humainement injuste de ruiner une réinsertion réussie«  [3].

La prescription de l’action publique.

La loi pénale de fond du Code pénal.

« Corollaire du principe de légalité criminelle, ayant lui même valeur constitutionnelle, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale est posé par l’article 112-1 du Code pénal en ces termes : Sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date«  [4].

L’action publique.

« L’action publique est l’action en justice portée devant une juridiction répressive pour l’application des peines à l’auteur d’une infraction. Même si elle peut être mise en mouvement par la partie civile, elle est toujours exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi«  [5].

La loi pénale de forme du Code de procédure pénale.

« En matière pénale, trois types de lois de nature procédurale lato sensu s’appliquent immédiatement. Il s’agit, d’abord, des lois de procédure au sens strict, ensuite, des lois de prescription de l’action publique et, enfin, des dispositions nouvelles concernant l’exécution et l’application des peines«  [6].

Les fixations du point de départ (Dies a quo) et de l’échéance (Dies ad quem) font l’objet d’une jurisprudence tendant à préciser certaines modalités distinctes selon que l’on analyse une computation procédurale ou la prescription permettant des poursuites répressives.

Dans les diverses juridictions, la conséquence d’une prescription « extinctive » est la forclusion, c’est à dire « Toute déchéance ou exclusion d’un droit ou d’une faculté qui n’a pas été exercé en temps utile«  [7].

En matière civile, il y a forclusion lorsque les parties « privées » qui engagent une action ont dépassées certains délais dans le mécanisme processuel.

La prescription de l’action publique dans les juridictions de droit commun.

« L’action publique en matière de délit se prescrit à compter du jour où ces infractions ont été commises si, dans l’intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite. Ce délai, qui ne commence à courir que le lendemain du jour où l’infraction aurait été commise, le terme révolu excluant le jour où le délit a été perpétré du délai pendant lequel court le temps de la prescription, se calcule de quantième à quantième et expire le dernier jour à minuit«  [8].

Les prescriptions sont déterminées selon les différents groupes d’infractions.

« L’action publique des crimes se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise […]«  [9].

« L’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise«  [10].

« L’action publique des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l’infraction a été commise«  [11].

« […] Le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise«  [12].

Les infractions de presse (Exemple : La diffamation…) relèvent d’un régime de prescription spécifique.

Hormis les exceptions de l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, « L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait«  [13].

Selon une jurisprudence constante « L’action publique et l’action civile ne peuvent être interrompue ni par une plainte simple, ni par des procès-verbaux«  [14].

Les infractions de presse font exception à l’article 85 (2) du Code de procédure pénale quant à la « suspension » de la prescription des infractions de droit commun durant laquelle l’action civile [15] ne peut être recevable par le juge d’instruction.

Qualification pénale et prescription.

Techniquement, la qualification de l’infraction permet d’évaluer le point de départ à compter de l’écoulement du délai au-delà duquel le Ministère Public n’est plus recevable dans ses prérogatives.

« Moment de la qualification. La qualification est l’identification et l’appellation légale des faits. Cette qualification doit être effectuée en se plaçant au temps de l’acte. C’est à ce moment que doivent être appréciés les éléments constitutifs de l’infraction«  [16].

Les infractions permanentes (infraction instantanée et infraction continue).

L’infraction permanente. « […] L’infraction dite permanente, création de la doctrine, qui se définit comme une infraction instantanée dont les effets se prolongent dans le temps, en raison de l’attitude passive de son auteur. Cette distinction présente des intérêts, par exemple, quant au point de départ de la prescription de l’action publique«  [17].

L’infraction instantanée. (Exemple : le vol…) « Une infraction est instantanée lorsqu’elle s’accomplit en un trait de temps. Tel est généralement le cas de l’assassinat, de l’incendie, du vol, ou de la corruption«  [18].

L’infraction continue (Exemple : le recel de vol…) « Selon la doctrine et la jurisprudence constante de la Cour suprême, une infraction continue prend fin au moment où a été perpétrée sa dernière manifestation«  [19].

« La prescription des infractions continues ne court qu’à partir du jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets. […]«  [20].

L’infraction continuée. « […] L’infraction continuée s’entend d’une action consistant en plusieurs faits réunissant tous les éléments de la même infraction commise sur une certaine durée. […]«  [21].

L’infraction formelle. (Exemples : l’empoisonnement, la non-assistance à personne en danger…) « L’infraction formelle est une infraction consommée par le seul accomplissement de l’acte incriminé, même s’il n’a commis aucun dommage«  [22].

Les infractions-obstacles peuvent se définir par « un comportement dangereux susceptible de produire un résultat dommageable ou d’être suivi d’autres comportements pouvant produire un tel résultat et incriminé à titre principal, indépendamment de la réalisation de ce résultat«  [23].

Proche de la doctrine de Donnedieu de Vabres selon laquelle « la plupart des infractions sont formelles » [24], le qualificatif de l’ »infraction-obstacle » consacre l’incrimination de la tentative, lorsque le Code pénal est explicite.

Les infractions occultes et les infractions dissimulées.

« Le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise«  [25].

Les infractions occultes. (Exemples : l’abus de biens sociaux, le trafic de stupéfiants, le favoritisme, la prise illégale d’intérêt, l’abus de confiance…) « Est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire«  [26].

« On peut dire du régime des infractions occultes que, constituant une exception jurisprudentielle à une règle légale en matière de procédure pénale, il semble normal que les décisions qui les caractérisent, caractérisent expressément la dissimulation des actes irréguliers de nature à retarder le point de départ de la prescription«  [27].

Les infractions dissimulées (Exemples : La dissimulation d’activité et la dissimulation d’emploi salarié…).

« Est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte«  [28].

Les infractions de presse.

Le point de départ de la prescription des infractions de presse est celui du premier jour ou le fait imputable est rendu public selon divers critères satisfaisant aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Les infractions relatives aux publications sur internet.

La prescription pour la poursuite en répression sur la teneur des contenus sur internet est assimilable aux « services de communication au public en ligne et la prescription acquise dans les conditions prévues par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse«  [29].

Autrement dit, ce nonobstant diverses problématiques doctrinales quant aux conséquences de la continuité des affichages litigieux, sur internet, c’est la date de publication qui fixe le point de départ de la prescription des actions à l’encontre de son auteur. Cependant, la juridiction suprême précise divers cas particuliers interruptifs de la prescription, notamment pour les plus courants, lorsqu’ »texte incriminé est rendu à nouveau accessible par son auteur au moyen d’un lien hypertexte«  [30].

L’interruption de prescription et la suspension de prescription.

Suspension de la prescription.

« Contrairement à l’interruption, la suspension de la prescription de l’action publique ne fait qu’arrêter le cours de la prescription. Le délai écoulé jusqu’à la survenance de la suspension entre donc en ligne de compte lorsque la prescription se remet à courir«  [31].

« Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription«  [32].

La Chambre criminelle de la Cour de Cassation précise certains évènements suspendant le cours d’une prescription de l’action publique.

« Le dépôt de plainte entraîne la suspension, jusqu’à la réponse du procureur pendant un délai maximal de trois mois la prescription, ou sans réponse du procureur, jusqu’à expiration de ce même délai [33]

« Le délai de prescription est suspendu entre le dépôt de plainte et le versement de la consignation effectué dans le délai imparti par le juge d’instruction«  [34].

« La prescription de l’action publique est suspendue pendant toute la durée de la procédure de médiation pénale«  [35].

Interruption de la prescription.

« … Le délai de prescription de l’action publique est interrompu par :
Tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l’action publique […]
Tout acte d’enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction
Tout acte d’instruction […], accompli par un juge d’instruction, une chambre de l’instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction
Tout jugement ou arrêt, même non définitif, s’il n’est pas entaché de nullité
«  [36].

Divers cas jurisprudentiels précisent les causes interruptives de la prescription des poursuites pénales, surtout dans les processus d’instructions, notamment en cas de carence ou d’erreur.

Sur le modèle consacré aux infractions de presse, la Cour de Cassation applique l’inanité des conséquences juridiques sur la prescription d’un dépôt de plainte simple pour les infractions dites de « droit commun« .

« La plainte simple d’un particulier ne constitue pas un acte de poursuite ou d’instruction de nature à interrompre la prescription«  [37].

La fixation du point de départ de la prescription (Exemple : le délit d’escroquerie).

« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge«  [38].

L’analyse comparative de deux jurisprudences de la Cour de Cassation pour un délit d’escroquerie permet de mettre en exergue la problématique de la fixation du point de départ de la prescription.

- Dans un arrêt de 1999 (98-82.009) [39] La Cour Suprême a fixé le point de départ de la prescription de l’action publique à la date de la remise des fonds, « La présentation du chèque à l’encaissement caractérisant la remise des fonds« .

- Dans un arrêt de 2015 (16-86.735) [40], la Cour Suprême a fixé le point de départ de la prescription de l’action publique au jour du dernier acte, lequel étant un document « authentique« , distinct juridiquement d’un chèque ou d’un « acte sous seing privé » antérieur, « la prescription ne commence à courir qu’à compter de l’obtention du dernier acte opérant obligation ou décharge« , dans le cas d’espèce, l’acte notarié.

 

Fabrice R Luciani
Ancien juriste d’entreprise et juriste bénévo